Comment saisir l’opportunité de l’IA générative sans sacrifier nos efforts pour la cause environnementale

© Thomas Brilland
Pour Vibrations communicantes, nous avons interviewé Thomas Brilland, chargé des questions liées à l’impact environnemental de l’intelligence artificielle au service sobriété numérique de l’ADEME. L’objectif : explorer les liens entre communication, intelligence artificielle et responsabilité environnementale, afin que chaque communicant comprenne sa valeur-ajoutée et adopte une utilisation intelligente et responsable de l’IA générative.
Novembre 2022. ChatGPT débarque et le monde en est changé. En quelques mois, l’intelligence artificielle générative arrive à se rendre indispensable au niveau professionnel mais aussi personnel. Contrairement à l’arrivée d’Internet dans les années 2000, personne ne commet l’erreur de sous-estimer cette nouveauté. L’IA générative n’est pas une mode éphémère : elle s’impose comme l’outil incontournable de demain.
Mais cette course à l’innovation arrive à un moment critique. Alors que la France s’efforce de réduire son empreinte carbone et que le secteur numérique représente déjà 4,4% de l’empreinte carbone nationale avant son arrivée, l’IA générative menace d’anéantir des années d’efforts environnementaux. Le paradoxe est là : nous développons massivement des technologies énergivores précisément quand nous devrions décarboner.
L’impossible équation énergétique
« Il y a un manque de transparence très important des acteurs principaux du domaine », explique Thomas Brilland, ingénieur numérique à l’ADEME. Cela rend difficile l’évaluation précise de l’impact environnemental de l’IA, mais plusieurs signaux d’alarme sont identifiables.
Lors du sommet de l’IA, la France a annoncé des projets de data centers pouvant atteindre 1 gigawatt de puissance installée, l’équivalent d’un réacteur nucléaire entier. Ces infrastructures ne se contentent pas de stocker des données comme le cloud : elles effectuent des calculs de haute performance avec une très forte densité énergétique.
L’impact se mesure à deux niveaux. D’abord, la fabrication des équipements : puces ultraspécialisées nécessitant des métaux rares, procédés industriels lourds, extraction minière polluante. Ensuite, l’utilisation : consommation électrique massive pour alimenter les calculs, mais aussi consommation d’eau considérable pour refroidir ces installations.
Face à ce constat, une hiérarchie émerge entre les différents usages. Générer une image consomme plus d’énergie que produire du texte, et créer une vidéo surpasse encore ces deux usages.
Mais une différence plus fondamentale oppose les modèles généralistes aux solutions spécialisées. ChatGPT, capable de tout faire, nécessite un « cerveau » gigantesque pour traiter n’importe quelle demande. À l’inverse, une IA générative dédiée uniquement à une spécialité comme la traduction ou à la transcription peut fonctionner avec des ressources beaucoup plus modestes. « Plus le modèle est généraliste et sait tout faire, plus il va être consommateur », précise l’expert de l’ADEME.
Cette logique devrait guider nos choix. Plutôt que de développer des « mégamodèles » universels, la France aurait intérêt à miser sur des IA spécialisées, plus sobres et répondant à des besoins précis. Une stratégie qui permettrait de concilier souveraineté technologique et responsabilité environnementale.
Le défi professionnel : besoin réel ou effet de mode ?
Dans le secteur de la communication, cette réflexion devient cruciale. L’arrivée de l’IAgen crée une pression concurrentielle inédite : quand un collègue produit du contenu en quelques clics, difficile de résister à la tentation. Mais cette course à la productivité peut masquer un questionnement essentiel.
La première question à se poser : ce besoin existait-il avant l’IA ? Si une campagne publicitaire nécessitait auparavant un photographe, un graphiste et plusieurs jours de travail, l’automatisation par IA répond-elle à une véritable nécessité ou crée-t-elle artificiellement un nouveau standard ?
Pour Thomas Brilland, la démarche d’éco-conception doit s’appliquer dès la genèse des projets : « Simplement le fait de se poser des questions à chaque étape du projet, va nécessairement réduire l’impact. » Identifier le besoin réel, évaluer les alternatives sans IA, choisir des outils spécialisés quand l’intelligence artificielle s’impose réellement.
Cette réflexion prend une dimension éthique particulière. Comment justifier des campagnes entièrement générées par IA tout en revendiquant un engagement environnemental ?
Le risque de greenwashing devient omniprésent : utiliser massivement des technologies énergivores tout en communiquant sur sa conscience écologique est incohérent.
L’intelligence de la sobriété
L’IA, comme toute technologie puissante, amplifie nos choix : sage si elle répond à des besoins identifiés, destructrice si elle crée artificiellement de nouveaux standards de consommation.
Dans le secteur de la communication, cette responsabilité devient collective. Chaque campagne générée par IA, chaque visuel automatisé, chaque contenu produit sans réflexion préalable contribue à une trajectoire énergétique non durable. La véritable innovation ne consiste pas à tout automatiser, mais à automatiser intelligemment.
Par Léa Evezard – agence Communicante
En partenariat avec la journée de la communication agricole du SYRPA