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« Le monde agricole a besoin aussi de leadership féminin »

Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS et directeur du Club DEMETER, « Le monde agricole a besoin aussi de leadership féminin » © Club Demeter

Sébastien Abis est directeur du Club DEMETER, chercheur associé à l’IRIS depuis 2012, expert en géopolitique. Également enseignant, auteur et chroniqueur, il nous livre un regard aiguisé sur le rôle que les femmes ont à jouer face aux défis à venir.

Dans votre ouvrage « Veut-on nourrir le monde ? Franchir l’Everest alimentaire en 2050.», vous expliquez que le défi de l’humanité est d’assurer la sécurité alimentaire mondiale en préservant les écosystèmes et les ressources.
Qu’est-ce que les femmes vont amener dans la transition agricole et alimentaire en cours ?

Il convient d’abord de prendre conscience du rôle vital joué au quotidien par les femmes, sur tous les continents, pour produire de la nourriture. L’agriculture est le 1er employeur de femmes au monde. Dans les pays en développement, les femmes représentent la moitié de la population active agricole. L’agriculture devrait être par conséquent aussi leur 1er levier d’émancipation.
En outre, de nombreuses femmes, hélas, travaillent dans les champs sans avoir ni statut officiel, ni salaire. Nous pourrions aussi évoquer ces jeunes filles aux champs. Par ailleurs, Les femmes sont toujours sous-représentées dans les enceintes décisionnelles. Elles sont pourtant innovantes pour gérer les ressources, éviter les gaspillages, inventer de nouvelles pratiques. L’entrepreneuriat féminin en agriculture, c’est une force.

Il est important aussi de souligner la responsabilité qu’elles portent du fait de leur fonction maternelle même. L’alimentation des 1000 premiers jours d’un enfant est déterminante pour les 20 000 potentiels à suivre, en moyenne. Dans cette période des premiers jours de la vie, la nutrition s’avère centrale dans la réussite du développement futur de l’enfant. Mal nourri, il aurait alors d’inévitables carences, y compris un coefficient intellectuel limité. Très concrètement, pour élever le niveau d’intelligence humaine demain, faire face à moins de nervosité, à moins d’instabilité dans le monde, il faut bien nourrir les enfants ! Et ce n’est pas seulement l’affaire des mères.
C’est d’ailleurs le sujet du Sommet de la nutrition pour la croissance, « Nutrition for Growth (N4G) » qui se tiendra les 27 et 28 mars 2025 à Paris. L’alimentation des enfants, c’est comme leur éducation : un investissement pour améliorer le futur du monde.

 

Vous parlez d’un entrepreneuriat féminin plus responsable. Pourquoi ?  

Les femmes sont capables d’une vision long terme car elles visent souvent davantage des objectifs communs que personnels. Elles gèrent aussi plus facilement le collectif : réfléchir, innover, faire, se projeter ensemble.
La capacité féminine à accepter une diversité de points de vue facilite le fait de se projeter dans des changements à faire sans que cela génère de la peur. Elles ont tendance à être davantage multitâches et polyvalentes, à être rompues à l’instabilité et aux transitions à mener. Autant de caractéristiques, pour trop schématiques évidemment, mais qui font écho à la situation contemporaine d’un monde en pleine transformation.

Leur manière de gérer est sans doute plus adaptée aux défis de l’humanité que ne l’est la géopolitique d’aujourd’hui, que je qualifie comme le temps des hippopotames : les relations internationales et sociales sont féroces, véloces et polygames, pour traduire la nouvelle « multipolarité ». Les relations se durcissent, les révolutions s’accélèrent, les frustrations s’accumulent. On ne sait plus faire le tri, c’est l’émotionnel ou la colère qui prime.

Et pourtant, face au défi alimentaire qui est dressé devant nous, les aptitudes féminines sont nécessaires. Je prône une « souveraineté solidaire », qu’elle soit locale ou internationale, plutôt qu’une souveraineté solitaire.
Les solutions viendront de l’entraide, l’interdépendance, le décloisonnement, la cohérence sociétale, la confiance dans le temps long.

  

Et en France, où en sommes-nous ? 

Sur notre territoire, on se félicite d’avoir 25 % d’agricultrices parmi les exploitants. C’était 8 % dans la décennie 1970. Cependant, la population agricole diminuant, il n’y a pas beaucoup plus d’agricultrices qu’avant. En revanche, plus sont cheffes d’exploitation, c’est cela la différence.
Le secteur agricole reste néanmoins en retard sur la parité dans la représentation agricole.
Les femmes qui sont présentes dans des postes à responsabilité dans les instances ou les entreprises sont souvent cantonnées à la communication, aux affaires publiques ou à la RSE. Peu de femmes sont présidentes ou directrices. C’est un défi pour les prochaines années de savoir faire émerger du leadership féminin dans le monde agricole et agro-alimentaire en France. Face aux défis colossaux devant nous, nous devons faire preuve de beaucoup de modestie et d’esprit collectif. Les femmes sont donc d’autant plus nécessaires !

 

Propos recueillis par Véronique Spaletta et Caroline Chadal, Agence Communicante

En partenariat avec VoxDemeter 

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