Home 5 Actu 5 Ça bouillonne : Lucas Francou Damesin – Parlons Climat

« Les mobilisations agricoles de l’hiver dernier ont changé le regard des consommateurs, par encore les revenus des producteurs. »

Lucas Francou Damesin, co-fondateur de Parlons Climat, observe les mutations de l’opinion sur le climat et l’agriculture. Nous l’avons interrogé sur l’impact des mobilisations agricoles de l’hiver dernier. Sa conclusion : Une visibilité retrouvée pour les agriculteurs, mais un paradoxe du consommateur qui persiste.

Les mobilisations agricoles de l’hiver dernier ont marqué les esprits. Ont-elles changé la donne ?

 » Oui, les mobilisations ont eu un effet. D’abord parce qu’elles ont remis l’agriculture au centre du débat public. On a assisté à un vrai retour de visibilité des agriculteurs, sous l’angle du revenu et non d’un rejet de l’écologie.

Ensuite, il y a eu une réaction côté consommateurs : 70 % des Français déclarent avoir changé certaines habitudes après les manifestations, notamment en regardant davantage l’origine des produits.

Mais ce mouvement se heurte vite à la réalité : l’inflation alimentaire n’a pas disparu, et les arbitrages restent violents. On peut dire qu’on a observé une prise de conscience, mais elle reste fragile parce que la question centrale est toujours là : comment mieux rémunérer les agriculteurs quand les budgets sont contraints ? »

L’écart entre ce que les citoyens disent vouloir faire et ce qu’ils font réellement reste important. Comment l’expliquer ?

« On entend souvent : « Les gens disent une chose et en font une autre. » En fait, ce n’est pas un problème de sincérité : c’est un problème d’environnement. La norme du « manger mieux » existe déjà. Les gens savent ce qu’ils devraient faire. Le vrai sujet, c’est : peut-on réellement le faire ?

Trois facteurs clés empêchent le passage à l’acte. Les contraintes économiques : les prix, les promotions, les marges des distributeurs et l’inflation pèsent lourd. Les freins infrastructurels : comment acheter au producteur quand on vit en ville ? La taille du rayon bio, l’accès aux circuits courts restent limités. Et les influences culturelles : la publicité et les séries font la promotion des produits plaisir.

Autrement dit : tant que le système n’aide pas les consommateurs à faire le bon choix, le volontarisme individuel ne suffira pas. L’IDDRI, dans ses travaux sur l’environnement alimentaire, soutient qu’il faut en finir avec l’idée que le consommateur est seul responsable pour se donner les moyens d’agir. »

Est-ce que ces injonctions contradictoires créent de la méfiance vis-à-vis des acteurs de l’alimentation  ?

« Le sentiment de méfiance est immense. Même quand les gens veulent soutenir les producteurs, ils se demandent où va vraiment l’argent. Quand une marque annonce qu’elle rémunère mieux les agriculteurs, les mangeurs n’y croient pas beaucoup.

Ce qu’ils demandent en premier, c’est plus de transparence sur les marges.

Aujourd’hui, l’acte le plus clair pour eux est d’acheter en direct ou au marché. Leur motivation principale est de mieux rémunérer les producteurs, avant même le sujet d’écologie. C’est une tendance lourde : le local est devenu un refuge de confiance. Il porte trois promesses dans l’esprit collectif : une plus juste rémunération des producteurs, des produits meilleurs pour la santé, et des méthodes de production qui respectent l’environnement. »

Finalement, les Français sont prêts… mais le système ne suit pas ?

« Exactement. La transition alimentaire est socialement acceptée. Ce n’est plus un tabou de dire qu’on va manger moins de viande ou plus local.

La question n’est plus la volonté des gens. C’est « comment on rend le meilleur choix possible ? ».

On peut s’interroger sur le rôle des distributeurs qui ont aujourd’hui les moyens de fabriquer la demande. Ce changement de comportement global ne se fera pas seulement par la pédagogie ou la morale. Il se fera par des environnements plus justes : prix, offre, transparence, culture. »

A propos de Parlons Climat

Fondée en 2022, parlons Climat est une association qui éclaire les stratégies des acteurs de la transition en croisant études quantitatives, recherches qualitatives et sciences sociales. Son objectif : comprendre comment les citoyens, au-delà des cercles engagés, perçoivent réellement les enjeux climatiques et agricoles. L’association travaille avec la société civile organisée, les médias et les entreprises pour sortir du entre-soi et ancrer la transition dans les réalités du terrain.

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