Art, émerveillement et transition écologique
Orchidées et oiseau-mouche, huile sur toile, Martin Johnson Heade
© Museum of Fine Arts, Boston. All Rights Reserved.
L’art et l’émerveillement participent-ils au processus de transition écologique ? Pour répondre à cette question, j’ai eu envie d’écouter des voix inspirantes qui m’ont fait vibrer au fil de leurs écrits. Charles Pépin avec son livre « Quand la beauté nous sauve » nous fait (re)découvrir les bienfaits de la beauté. Estelle Zhong Mengual dans son ouvrage « Apprendre à voir » nous exhorte à aller au-delà du « voir » pour ne pas limiter notre environnement à un simple décor de vie.
Quand la beauté nous sauve… voilà un titre bien mystérieux. Nous sauve de quoi ? En réalité, il s’agit là d’une réflexion philosophique sur l’émotion esthétique. Charles Pépin nous explique en quoi la beauté nous fait du bien. Pour le philosophe, la beauté est tout sauf superficielle. Vous vous arrêtez comblé devant un champ de blé éclairé par les derniers rayons de soleil d’une fin de journée ? Vous frissonnez devant ce tableau de Van Gogh ? Pas besoin de critères pour se justifier. Votre émotion suffit à votre jugement. Chaque fois que la beauté nous touche, elle nous réapprend à nous faire confiance. Et plus encore : apprécier la beauté nous conduit à sortir de notre individualisme, à nous ouvrir au monde et « apprécier » ce qui n’est pas soi. Le philosophe nous invite également à accueillir le mystère du beau : être émerveillé, c’est accepter de ne pas chercher à vouloir tout expliquer. Alors, porter un regard ébloui sur l’existence et le savourer tel quel, n’est-ce pas déjà un premier pas vers une prise de conscience écologique ? En affirmant cela, je vais au-delà des propos de Charles Pépin. Mais même si je le ressens profondément, je dois bien reconnaitre que c’est loin d’être suffisant pour conduire à une réelle transition écologique.
Alors, poursuivons notre exploration en allant voir ce que dit une historienne de l’art. Estelle Zhong Mengual dans son livre « Apprendre à voir » cherche à nous ouvrir les yeux sur un monde, le monde des vivants, pour lequel nous sommes aveugles nous dit-elle. L’histoire de notre civilisation a placé l’homme supérieur à la nature, et l’histoire de l’art n’a pas échappé à cette conception. En effet, dans de très nombreuses œuvres, la nature est bien souvent traitée en allégorie du monde divin ou en simple décor servant à mettre en valeur autre chose. Un modèle qui a fortement contribué à nous mettre à distance de notre environnement. Estelle Zhong Mengual, dans une approche mêlant art et sciences, s’appuie sur les travaux de femmes naturalistes du 19è siècle et de différents peintres pour montrer qu’ils ont réussi à « saisir le vivant dans son abondance de signes et de sens. » Entendez par là les relations d’interdépendances entre êtres vivants. Prenez par exemple ce tableau de Martin Johnson Heade, les orchidées et l’oiseau mouche. Les fleurs et l’oiseau ne sont pas des éléments de décor, mais bel et bien acteurs d’une relation en train de se jouer entre eux trois. Et derrière chaque détail peut se cacher un sens caché. Apprendre à voir, nous dit l’historienne de l’art ce serait faire alliance avec le monde vivant que notre histoire nous a amené à délaisser, apprendre à voir le sens et les interactions entre tous les vivants, et pas seulement entre nous les humains.
En conclusion de ces pérégrinations littéraires il me faut désormais répondre à cette question : l’art et l’émerveillement participent-ils à la transition écologique ? N’avons-nous pas besoin pour cela des ondes positives de Charles Pépin ? Car selon moi, aller vers une transition écologique c’est sans nul doute développer une forme d’empathie et d’ouverture vers le monde que l’émerveillement devant la beauté nous rend capable d’avoir. Et désormais, en harmonie avec Estelle Zhong Mengual, je regarde les tableaux différemment : je songe aux interactions entre êtres vivants, visibles et invisibles, consciente que, nous les humains, ne sommes que des vivants parmi tous les êtres vivants, tous liés et interdépendants.