Home 5 Non classé 5 Ça Bouillonne : Marie Gariazzo, directrice à l’OBSOCO

La fatigue responsable du consommateur : quand l’écologie devient un fardeau

Entre injonctions contradictoires et sentiment d’impuissance, les Français manifestent un essoufflement face aux enjeux de consommation responsable. Marie Gariazzo, directrice à l’ObSoCo, décrypte ce phénomène qui révèle les limites du modèle du « consomm’acteur ».

Un essoufflement entre désillusion et résistance

Dans sa note « Après nous le déluge ? Chronique d’un essoufflement vert », Marie Gariazzo décrit un phénomène de plus en plus perceptible : la fatigue du consommateur responsable. « Cet essoufflement n’est pas uniforme, explique-t-elle. Il varie selon les individus et le niveau d’engagement écologique. »

Les études de l’ObSoCo montrent que la plupart des Français ont conscience de vivre dans une société d’hyperconsommation. Beaucoup se sentent piégés dans un système qui associe plaisir et surconsommation, tout en leur demandant d’être vertueux. « La fatigue vient souvent de ce sentiment d’être pris en étau : conscients du dérèglement climatique, mais lassés d’avoir le sentiment d’être les seuls à agir. »

L’étude menée sur le « ventre mou » de la population – ni climatosceptique, ni militant – révèle une lucidité généralisée sur les enjeux écologiques, mais aussi une forme de découragement : « Pourquoi moi ? Pourquoi ne pas imposer ces changements à l’amont, aux industriels, aux décideurs ? » interrogeaient de nombreux participants. Cette impression d’effort solitaire nourrit le désengagement.

Le modèle du « consomm’acteur » en bout de course ?

Depuis quelques années, le discours a changé : « ce n’est pas aux consommateurs d’agir seuls ». Pour Marie Gariazzo, ce déplacement de responsabilité est sain et nécessaire.

« Le modèle du consomm’acteur a atteint ses limites. Faire peser sur chacun la responsabilité d’un système qu’il ne contrôle pas crée de la lassitude et de l’injustice. »

L’idée d’ « efforts partagés » revient souvent dans les études de l’ObSoCo : les citoyens acceptent de changer si l’exemplarité est au rendez-vous. Or, les contraintes économiques et sociales sont fortes. « On ne peut pas demander la même chose à une mère seule dans un petit logement sans tri sélectif qu’à un cadre avec du temps et des moyens. »

La consommation responsable devient alors un marqueur social. Certains produits ou comportements « écolos » sont perçus comme réservés aux plus aisés, nourrissant un sentiment de relégation : « soit je me sens exclu, soit je dis que ce n’est pas si bien que ça. » Pour Marie Gariazzo, la clé est claire : « C’est aux pouvoirs publics et aux entreprises de montrer la voie et de faciliter les choses au maximum. »

Quand la responsabilité tourne à la culpabilité

Cette fatigue s’accompagne souvent d’une culpabilité écologique.

« Oui, les injonctions à consommer mieux ont fini par peser », observe la directrice de l’ObSoCo. L’argument santé renforce ce sentiment, notamment chez les parents qui n’ont pas toujours les moyens d’adopter une consommation responsable : « Ne pas pouvoir offrir une alimentation “meilleure” à ses enfants peut devenir source d’anxiété et de découragement. »

Certaines catégories sont particulièrement touchées, comme les femmes seules, déjà soumises à une forte charge mentale à laquelle s’ajoute désormais la “charge écolo”. Beaucoup finissent par lâcher : « Ce qu’on fait à petite échelle semble parfois vain. On se rassure en se disant que ce n’est pas à nous de tout porter. »

Comment parler d’écologie sans épuiser les gens?

La communication des marques sur la responsabilité écologique est devenue un exercice délicat. « C’est très difficile aujourd’hui, explique Marie Gariazzo, car les discours paraissent souvent intrusifs, culpabilisants ou condescendants. Certaines personnes sont écolos depuis toujours, par éducation ou nécessité, et n’ont pas envie qu’on leur fasse la leçon. »

Le défi, selon elle, est de valoriser ce que les Français font déjà : gestes du quotidien, lutte contre le gaspillage, circuits courts. « Beaucoup de ménages populaires ont des pratiques vertueuses sans le revendiquer. Les marques doivent éviter l’injonction et se concentrer sur la facilitation du passage à l’acte. »

Le paradoxe durable entre valeurs et comportements

Pourquoi ce décalage persiste-t-il entre convictions écologiques et comportements réels ? « Les contraintes économiques n’expliquent pas tout, mais elles pèsent lourd, répond Marie Gariazzo. Beaucoup veulent mieux consommer sans se sentir jugés, et ne pas porter la responsabilité de choix qui les dépassent. »

Elle souligne la nécessité d’un engagement collectif, impulsé par le haut : « Ce n’est pas au citoyen seul de porter un système dont il ne maîtrise pas les rouages. On sortira de ce paradoxe quand la responsabilité écologique sera mieux partagée, facilitée et valorisée, et non plus vécue comme une injonction individuelle. Le consommateur doit être accompagné, pas accusé. »

Malgré la lassitude, de nouvelles pratiques se développent : sobriété, circuits courts, seconde main, mutualisation…

Pour Marie Gariazzo, il ne s’agit pas d’un renoncement mais d’une autre manière d’espérer. « Ces démarches ne sont plus marginales. Elles traduisent une recherche d’équilibre, une volonté de retrouver du sens et du lien. »

A propos de L’ObSoCo

L’ObSoCo est une société d’études et de conseil en stratégie née en 2011 de la conviction que nous sommes en train de vivre une période de transformation profonde du modèle de développement des sociétés occidentales. Le modèle de consommation est en mutation et l’architecture des marchés de consommation en cours de redéfinition. L’ensemble des acteurs économiques et institutionnels doivent aujourd’hui repenser la façon dont ils se positionnent et créent de la valeur pour satisfaire le consommateur et le citoyen. Une tâche qui exige de remettre en cause ses visions du monde et de renouveler les concepts et grilles de lecture afin de donner sens aux mutations de la société et de la consommation pour mieux s’y adapter.

Pour plus d’informations : https://lobsoco.com/

Propos recueillis par Khadèja Camara agence Communicante

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