« Les marketeurs ont un rôle à jouer pour faciliter le chemin vers la consommation durable. Pas pour le compliquer. »
Christian Junod, spécialiste de la relation à l’argent : « Les marketeurs ont un rôle à jouer pour faciliter le chemin vers la consommation durable. Pas pour le compliquer. »
Christian Junod, économiste, auteur et conférencier spécialisé dans la relation à l’argent, décrypte pour nous le paradoxe consommateur – cet écart entre les intentions d’achat responsable et les comportements réels. Il invite à pacifier le rapport à l’argent et à simplifier l’accès à la consommation durable pour faire émerger davantage de consom’acteurs.
Comment décrivez-vous du paradoxe du consommateur ? Comment l’expliquez-vous depuis votre regard de spécialiste de la relation à l’argent ?
Le paradoxe du consommateur s’explique en partie par notre rapport à l’argent, qui est très généralement dominé par la peur de manquer, quel que soit notre niveau de vie. Cette peur restreint nos achats et rend toute sortie d’argent difficile, même lorsqu’on a les moyens. C’est le premier paradoxe : l’incapacité à se faire plaisir malgré les ressources disponibles. À l’inverse, certains dépensent de manière impulsive et émotionnelle, dans une forme de rejet de la frustration. « Je dépense donc je suis » : on se sent vivant quand on peut dépenser, mais cette euphorie retombe immédiatement.
Ce que j’observe de plus en plus aujourd’hui, c’est que la société de consommation est devenue une société de compensation. Moins on est bien dans sa vie, plus on cherche à compenser par la consommation. L’achat devient une fuite, un leurre pour oublier son mal-être. Et, plus on se restreint au quotidien, plus on dépense quand on s’autorise enfin à le faire, à lâcher – notamment en vacances.
Le problème, c’est que ce fonctionnement émotionnel n’est pas conscient. On ne réalise pas que la peur est le moteur de nos actions. Tant qu’on reste dans cette peur, nos choix restent centrés sur nous-mêmes, sans conscience de leur impact sur le monde. Or, l’intention de consommer de manière responsable ne part pas d’une émotion, mais d’un choix de valeurs.
Comment est-il possible de faire évoluer ce paradoxe pour aller vers une consommation plus responsable ?
Il faut d’abord pacifier son rapport à l’argent. C’est un travail intérieur essentiel pour retrouver une sérénité quel que soit l’état de ses finances. Si on reste dans l’agitation mentale, avec ces petites voix qui créent de l’émotionnel, on ne peut pas faire de choix avisés.
En étant dans la peur, nos choix sont uniquement liés à notre personne et pas à l’extérieur, sans conscience de leur impact. C’est « moi », pas « moi et le monde ». Une fois le rapport à l’argent apaisé, on peut développer une confiance en la vie et voir l’argent comme un bulletin de vote pour la société qu’on va construire ensemble. La manière d’utiliser mon argent co-construit la société de demain : emploi, commerces, impact écologique. Je deviens acteur de quelque chose.
On peut ressentir une émotion positive en achetant de manière responsable, associée au sens qu’on donne à l’utilisation de son argent. Ce n’est plus une compensation émotionnelle, mais une conséquence de ses valeurs.
Comme le dit Pierre Rabhi avec la « sobriété heureuse » : quand c’est une sobriété choisie, on peut être heureux. Le bonheur n’est pas une accumulation matérielle, mais la qualité des relations, l’abondance, la capacité à voir la beauté de la vie, l’alignement avec le sens de ce qu’on fait. Plutôt que de se forcer à se restreindre – ce qui crée une violence intérieure -, il s’agit d’apprendre à apprécier autrement.
Quelles recommandations auriez-vous pour les communicants et les marketeurs ?
Le paradoxe du consommateur pose la question de leur responsabilité : jusqu’où sont-ils prêts à faire des communications franches et authentiques, et jusqu’où veulent-ils vendre du rêve et du « faire croire » ?
Le marketing traditionnel joue sur l’émotion en invitant à « se faire plaisir » en se coupant du reste du monde et du rationnel. C’est un marketing égocentrique qui joue sur les frustrations et les envies. Je préconise au contraire un marketing qui va nous élever, qui délivre des messages qui participent au changement de société en promouvant la consommation durable. Il faut toucher positivement les personnes, les inviter à devenir « consom’acteur » – à acheter bien au-delà de soi, montrer que l’achat a un impact qui dépasse l’individu.
Et puis, consommer de manière responsable demande réellement un effort : se renseigner, se déplacer. C’est un acte volontariste de dépenser mon argent chez le libraire plutôt que chez Amazon. C’est un chemin de conscience qui demande d’être prêt à lâcher une certaine facilité. Les marketeurs ont un rôle à jouer pour faciliter ce chemin, pas pour le compliquer. Leur responsabilité est d’accompagner cette élévation de conscience plutôt que de maintenir les consommateurs dans des schémas de compensation émotionnelle.
A propos de Christian Junod
Économiste de formation, Christian Junod a travaillé dans une banque suisse avant de se spécialiser dans l’accompagnement autour de la relation à l’argent. Il a accompagné pendant 15 ans des profils très variés, des personnes surendettées aux gagnants de l’Euromillion. Auteur de cinq livres sur le sujet, il prépare actuellement un sixième ouvrage – un essai sur la manière dont notre rapport à l’argent explique la société actuelle.
Pour en savoir plus sur les ateliers proposés par Christian Junod : Son site Internet
Et pour lire « Ce que l’argent dit de vous », dans lequel Christian Junod vous invite à interroger votre relation à l’argent pour le mettre à la bonne place dans votre vie : Les livres – Christian Junod
Propos recueillis par Véronique Spaletta, agence Communicante