Maud Louvrier-Clerc, artiste en développement durable : « L’art donne une manière de comprendre le monde au travers de la sensibilité »
Maud Louvrier-Clerc, artiste en développement durable « Je pense que s’émerveiller de quelque chose permet de donner accès à tout l’univers auquel il est relié ».
© Vincent Gramain
Maud Louvrier-Clerc est artiste en développement durable. Elle utilise sa sensibilité et son émerveillement pour partager son exploration scientifique et poétique du monde. En allant à la rencontre de publics dans les écoles ou les entreprises, son approche « hors les murs » éveille à l’interdépendance et ouvre à l’interdisciplinarité.
Maud, vous vous présentez comme « Artiste en développement durable et chercheuse », qu’est-ce que cela signifie ?
Mon activité artistique découle de mes questionnements, philosophiques ou scientifiques. Je m’interroge et l’art me permet de partager mes réflexions, parfois mes découvertes à travers l’émerveillement.
Mes recherches suivent trois axes : l’identité, l’empreinte et l’interdépendance. En premier lieu l’identité : Qui suis-je et pourquoi suis-je ici ? Quel lien me relie avec mon environnement ? De ces questions est née toute ma recherche sur l’équilibre à travers ma forme fétiche d’équilibre, le carrond, fusion d’un carré et d’un rond, du yin et du yang.
L’identité m’emmène ensuite vers l’empreinte que nous laissons dans ce monde. Une empreinte matérielle au sein des grands écosystèmes : mer, forêt, montagne et une empreinte immatérielle liée à la transmission de valeurs.
La question de l’interdépendance explore enfin le lien qui nous unit. Elle m’amène à des travaux divers comme : l’exploration poétique et citoyenne de l’anthropocène au travers du protocole JEMONDE que je réalise en entreprise ; l’étude des microplastiques et à leur manière de changer la forme des nuages en dialogue avec des scientifiques japonais ; l’analyse des microalgues, premiers organismes vivants sur Terre à l’origine de l’oxygénation des océans en compagnie de lycéens et des scientifiques bretons.
Il y a quelque chose d’organique dans mes questionnements sur notre présence sur Terre : je suis là, avec tout ce qui m’entoure, la place que j’occupe, en faisant partie d’un écosystème vaste que j’aime appeler Gaïa.
Comment faites-vous pour faire évoluer les consciences sur la transition écologique à travers votre art ?
J’utilise l’art comme une porte d’entrée et l’émerveillement comme un moyen de partager, sensibiliser et éveiller les consciences. Je tente de retranscrire ce que je vois, ce que je sens, à travers une esthétique que j’espère poétique et inspirante. Mon intention est d’ouvrir des perspectives, des parenthèses hors du temps sur des sujets sur lesquels on ne s’attarde pas habituellement. Je vais extraire un élément de son contexte comme un grain de sable, une fougère, un nuage afin de proposer au public un nouveau point de vue. Par leur interdépendance au grand tout, ils traitent de sujets importants comme la disparition du sable, la perte de la biodiversité ou l’impact des plastiques sur les écosystèmes. Je pense que s’émerveiller de quelque chose permet de susciter l’intérêt, de pousser à savoir.
Comment faites-vous pour toucher des publics qui ne fréquentent pas les expositions ?
Déjà c‘est une démarche proactive de ma part d’aller à la rencontre d’un public qui n’est pas celui des musées et des galeries. Il fallait que j’aille sur le terrain, dans les écoles ou les entreprises, afin de sensibiliser ce public plus vaste à travers des ateliers pratiques et ludiques au sujet du développement durable.
Il fallait désacraliser et rendre moins anxiogène ce sujet complexe et scientifique.
Cet été, j’ai par exemple collaboré avec Greenstep Projects. J’ai imaginé pour eux un projet Art & Sciences, « Dialogue aquatique « , autour des algues avec 5 lycéens qui n’avaient jamais vu la mer. Ils ont pu observer pour comprendre, dessiner pour identifier, peindre pour aimer et apprendre à protéger. Les sujets que nous avons explorés autour des algues étaient très nombreux : agriculture, alimentation, cosmétiques et pharmacologie. L’art les a plongés ainsi dans des sciences dures telle que la biologie marine et la chimie moléculaire.
Est-ce que votre travail trouve de la résonnance dans le monde économique ?
Les entreprises ont encore du mal à collaborer directement avec les artistes et préfèrent passer par des agences encore trop peu nombreuses. Artwork in promess est l’une d’entre elles, et notre collaboration m’a déjà permis de travailler sur de très beaux projets avec L’OCCITANE EN PROVENCE et ENGIE.
Pour les collaborations directes, je suis plutôt contactée par des entrepreneur.es. Anne Liauzun, fondatrice de la marque CECANCE, qui conçoit et fabrique des vêtements exclusivement en lin et donc sans matière synthétique est l’une d’entre elles. L’industrie textile est responsable de 35 % des microplastiques présents dans les océans. Anne a ainsi eu un coup de cœur pour une de mes oeuvres « It’s beginning » qui représente un sac plastique immergé dans la mer et dont elle s’est servie comme motif pour l’une de ces Collections nommée « She’s beginning ». C’est une manière très concrète de faire passer un message écologique auprès d’un public féminin déjà sensible à la mode responsable.
Propos recueillis par Véronique Spaletta, agence Communicante