Vincent Grégoire, tendanceur chez Nelly Rodi « Nous sommes dans une phase d’accélération des transitions qui conduit à un monde bipolaire »
Vincent Grégoire, tendanceur chez NellyRodi – ©agence NellyRodi
Quel regard peut porter un tendanceur sur les transitions ? Infatigable chasseur de tendances, Vincent Grégoire parcourt le monde pour la prestigieuse agence NellyRodi, à la recherche de signaux faibles qui vont générer des changements de paradigme dans la consommation. Vincent nous a fait l’honneur et le plaisir de nous recevoir dans les magnifiques bureaux de l’agence, un lieu chargé d’histoire propice à la créativité. Rencontre avec un passeur d’énergie.
Vous vous définissez comme « chasseur de tendances ». Mais quel est votre métier ?
Mon titre exact est directeur du pôle consumer trends & insights. Le grand public comprend mieux quand on parle de chasseur de tendances, ou tendanceur, mais j’ai l’habitude de dire que je suis un passeur d’énergie. Mon travail, c’est de repérer des phénomènes émergents, de faire des calculs de probabilité pour savoir si ça va générer de vraies adhésions de la part des consommateurs. Je cherche les signaux faibles qui valident, confortent et légitiment ces positionnements dans l’art, l’architecture, le design, la food, la beauté, la mode ou encore les loisirs.
Comment voit-on qu’on est en transition ?
Les sociétés sont tout le temps plus ou moins en transition, mais là nous sommes dans une phase d’accélération de transition. C’est très perturbant pour les consommateurs, car ils ont le sentiment que les choses se radicalisent et que cette transition est schizophrène et bipolaire. Dès qu’on met le nez dehors, c’est soit du virtuel soit du réel, l’Orient face à l’Occident, les riches contre les pauvres, les mecs contre les nanas, les grands incendies ou les grandes inondations, le présentiel ou le distanciel, les jeunes contre les vieux… Avant, il y avait des repères et c’était assez linéaire, maintenant quand il y a quelque chose il y a forcément son contraire. Les gens sont perdus.
Comment ce phénomène se traduit-il sur les modes de consommation ?
La société s’est aussi bipolarisée avec les mouvements slow et fast.
Pour le slow, on retrouve des marqueurs identitaires forts : ça peut être un événement de communication, par exemple un « gen Z » (NDLR génération Z, 14-25 ans) qui voit un film de L214 sur les abattoirs, le lendemain devient végan et militant. Le deuxième marqueur du mouvement slow, c’est quand on devient parent : on arrête les bêtises, on dégaine l’appli Yuka… Le troisième marqueur, c’est un pépin de santé qui va me pousser à modifier mon rapport au corps, ma façon de me nourrir. Cela concerne plus les générations X et boomers.
En face, vous avez les fast : ne m’embêtez pas avec votre écologie et avec vos trucs de bobo, moi j’ai envie de rouler dans ma bagnole, et quand j’achète des chemises je ne me pose pas de question sur la manière dont elles ont été fabriquées.
Quel mot vous inspire le plus en ce moment ?
J’en viens toujours à cette dimension de l’humour et du glamour. Nous sommes dans une société qui est tellement déprimée-déprimante, qu’elle a besoin de divertissement et de rêves. Les gens en ont marre de la santé, sécurité, sobriété, ils veulent de la sérénité, du sens, de la spiritualité. D’ailleurs, c’est une autre tendance, la jeune génération va chercher la spiritualité dans la superstition : vers le gris-gris, le signe astrologique…
Observez-vous d’autres éléments majeurs chez les jeunes aujourd’hui ?
La génération alpha (enfants nés après 2010) ne se fait son éducation visuelle, esthétique, idéologique, critique qu’avec des images rétroéclairées. Elle est attirée par le hasard, ne tient pas l’attention plus de trois secondes – avant c’était huit secondes avec les millenials -. D’où le succès de Tik Tok.
Son œil est complètement modifié, c’est « pixels génération » ! Elle a une perception différente des couleurs, des formes, des matières, des goûts. Elle est plus attirée par les matières synthétiques, les couleurs qui brillent.
Comment les professionnels peuvent-ils s’adapter à ces transitions accélérées ?
Ce qui est complexe, c’est qu’il y a une multitude de sources d’informations. Dans les années 60, quand les bureaux de tendances ont commencé, chaque saison avait une tendance, une couleur, une forme. Cela a commencé à se complexifier dans les années 70, puis dans les années 80 on a parlé des tribus, des sociaux styles, (le branché, le hippy, le bohème), et maintenant la « gen Z » mélange des codes. Donc c’est beaucoup plus perturbant pour les marques qui doivent choisir leur identité.
Les marques sont obligées d’exagérer le message pour se faire entendre, quitte à faire du buzz. C’est pourquoi il y a dans les tendances du moment, ce que j’appelle « le mono-mono », c’est à dire toutes ces marques, créateurs ou fabricants qui se consacrent à un mono produit, mono ingrédient, une mono couleur ou mono matière.
Comment les tendances agissent-elles sur les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation ?
Il y a une tendance intéressante en ce moment, que j’appelle « la R&DSE », mix de R&D et RSE. C’est un nouveau courant d’écologie positive et responsable pour appréhender les réalités de demain. On arrête de dire que c’était mieux avant et on travaille à un nouvel avenir raisonnable avec du bon sens : biomimétisme, biosourcé, bioluminescence, biomatériaux… ou bien encore l’agriculture régénératrice.
Côté food, avec le covid, il y a eu un recentrage sur le « miam-miam et le glou-glou », indispensables pour notre santé mentale et physique ! C’est un univers qui est en pleine effervescence. Se nourrir est au centre d’enjeux de vie, de survie et de plaisir.
Propos recueillis par Joëlle de Kerdanet, agence Communicante