« Une bonne écoute nécessite de la légitimité et de la confiance »

Marie-Julie Catoir Brisson : « Une bonne écoute nécessite de la légitimité et de la confiance »

© Marie-Julie Catoir-Brisson

Marie-Julie Catoir-Brisson est professeure associée au département Communication Culture et Langue d’Audencia SciencesCom, où elle enseigne et mène des travaux pour créer des espaces de dialogues, entre des chercheurs, professionnels, citoyens, dans des projets de recherche et de conception participative. 

Marie-Julie Catoir-Brisson s’attache particulièrement aux domaines de la technologie, de la santé, et de l’environnement en utilisant le design et le co-design, pour accompagner des trajectoires possibles de projets à travers des méthodologies engageantes spécifiquement développées pour les problématiques socio-contemporaines.

 

Quels sont les différents espaces d’écoute aujourd’hui ? Quels sont les liens entre eux ? 

L’écoute est une valeur centrale de la communication, qui comprend la racine « commun ». Pour créer du commun, il faut se comprendre et donc d’abord s’écouter.

Les manières d’écouter évoluent. Les sondages sont toujours présents, avec les limites qu’ils montrent dans l’utilisation des chiffres, mais les citoyens demandent qu’on les écoute directement, et notamment sur les sujets controversés qui impliquent des choix dont les conséquences dépassent les concepteurs.

La communication de l’espace public est directement reliée à l’espace de communication digital, qui se nourrissent mutuellement ou au contraire connaissent le même degré d’incommunicabilité. La communication numérique est médiatisée et modelée par ceux qui ont conçu les interfaces. Par exemple Twitter, qui représentait l’espoir d’une nouvelle agora est devenu une machine à clash.

Le numérique amplifie, pour le meilleur et pour le pire. Mais comme pour tous les outils cela nous renvoie à la responsabilité de nos propres usages.

Comment s’écoute-t-on aussi, dès lors que nous sommes coupés de l’épaisseur de la communication interpersonnelle en face à face, mélange de verbal et non verbal, mais qui contiennent autant de messages à décrypter que dans la communication numérique ?

Ce qui m’anime, c’est d’ajouter de la participation à l’écoute : comment va-t-on permettre tout au long d’un processus de conception, d’encapaciter les parties prenantes pour qu’elles s’expriment et que leurs paroles soient prises en compte à chaque étape du projet où on va prendre des décisions essentielles autour des enjeux éthiques, sociaux, environnementaux. La recherche action cherche à avoir un impact et un lien avec la société.

 

Qui peut bien écouter et comment ? 

Une bonne écoute se fait dans l’interaction, qui crée et maintient un lien. Elle est de l’ordre de la bonne conversation, c’est-à-dire de notre manière d’être et de vivre ensemble.

Un exemple de paradoxe, contemporain : la conversation semble rompue, en ligne comme dans la rue, mais la conversation automatisée n’a jamais autant passionné les foules. On observe nombre d’experts techniques commenter Bing Chat vs ChatGPT4.

Dans « La conversation comme manière de vivre » Ali Benmakhlouf dit : « La conversation par le lien de parole qu’elle crée est une forme de civilité. La conversation n’est pas (…) une exposition de doctrines, encore moins une joute verbale d’allure dialectique. (…) Converser pour alimenter le doute et non pour être certain. (…) Laisser une part d’imprévisibilité au risque de ne converser qu’avec soi-même ». La conversation laisse donc une grande place à l’Autre. Cela me fait dire qu’il faut un regard plus global et plus haut pour véritablement agir sur ce qu’on veut faire avec les technologies et l’IA. Et laisser une part d’imprévisibilité dans cet espace de dialogue qui s’ouvre avec ces technologies en rendant visibles et compréhensibles les mécanismes et les conditions de production de ce dialogue.

Bien écouter demande de la légitimité, de la confiance, et créer un environnement bienveillant qui favorise l’expression et la créativité. La confiance prend du temps à construire pour permettre l’écoute mutuelle.

Nous mettons trois à six mois pour produire les justes outils de médiation, adaptés aux acteurs et aux situations dans lesquelles nous intervenons. Par exemple, après une période d’immersion en hôpital et en cabinet, nous avons conçu, pour créer une communauté des participants, un jeu d’ouverture « A vos clichés », qui réunissait patients, soignants, médecins, administratifs, en utilisant le langage du corps et du collectif. Ainsi nous avons déconstruit tous les clichés, et redéfinit l’empathie. Les membres du groupe se regardant comme égal à égal et légitime à la fin de l’atelier. Je considère que tout le monde est expert de quelque chose. Le patient est expert de sa propre vie par exemple.

 

Comment évolue le rapport à l’écoute dans la culture française ?

Je dirais qu’il y a la culture française où les citoyens se sont exprimés tout au long de l’histoire. Mais dans la période actuelle, l’écoute de l’autre est rendue difficile par la crise de défiance, entre les citoyens et les représentants intermédiaires mais aussi entre les citoyens eux-mêmes. Plutôt que de focaliser sur nos différences, nous gagnerions à reconstruire le commun. Chacun doit comprendre les enjeux des autres. Il y a de plus en plus d’initiatives d’écoute participative et collective. C’est un espoir, mais il ne faut pas instrumentaliser la participation.

 

Quel est votre regard sur le rapport à l’écoute du secteur agri-agro ? 

J’ai eu l’occasion de mener un projet autour de l’eau dans la région du Gard et le maintien du tourisme, de l’agriculture et de l’habitat.

J’ai été interpellée par le manque d’écoute et les craintes qui émanaient d’emblée des parties prenantes. Par exemple, les néo-ruraux n’avaient pas du tout le même regard sur les pratiques agricoles que les locaux qui en comprennent les enjeux.

Cela peut être simple de changer les perceptions en expliquant. Il y a une vraie question autour de la manière de construire les conditions d’écoute des enjeux du secteur agricole et des zones rurales, dans ce contexte de transition et de mouvements géographiques particuliers.

 

Pour découvrir les travaux de Marie-Julie Catoir-Brisson, vous pouvez l’écouter commenter les 3 projets de son expérience en co-design, ci-dessous : 

 

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