L’agriculture sait-elle écouter ?
Spot vidéo de la campagne de communication Interfel « Jamais trop »
© Campagne de communication Interfel
Les agriculteurs français en appellent à une meilleure reconnaissance de l’agriculture et de son rôle. Ainsi, de longue date, ils pensent « communiquer » en portant leurs arguments autour de leurs pratiques, de l’alimentation ou des territoires. Avec peu de succès, nombre d’acteurs du secteur le confirme. Et si communiquer c’était d’abord écouter ?
L’Agriculture aime bien parler d’elle : sur ses campagnes grand public, elle se met souvent en scène elle-même. Une catastrophe lorsque l’on sait que le b.a.-ba de la communication, tient en l’adage « Parle-moi de MOI, y a qu’ça qui m’intéresse ». Or ce « MOI », désigne la cible, …et non l’émetteur ! Plutôt que de se faire plaisir en prenant la parole, les professionnels de la communication savent parfaitement que ce qui permet de mieux toucher sa cible, c’est de la mettre en lumière. Les communicants sont-ils entendus par les entreprises et organisations professionnelles agricoles qui les emploient ? A l’évidence, non.
« Si je vous entends bien… »
Si dans votre campagne de communication (pub TV, spot radio, affiche), le public cible ne peut se reconnaître, s’identifier, alors il ne se sent pas concerné et ne peut comprendre que votre message lui est destiné. C’est donc votre cible qui doit se retrouver sur votre campagne, et non votre tracteur. Et c’est elle qui doit prendre la parole. Pour pouvoir la positionner au cœur de votre dispositif de communication, cela impose en préalable de s’être donné suffisamment de temps pour l’écouter. C’est en ayant bien entendu ce que sont les attentes réelles de nos cibles que nous pourrons leur apporter les réponses qu’elles attendent.
« Dans une campagne de communication le public cible doit pouvoir se reconnaître pour se sentir concerné »
L’écoute, cela s’apprend
Processus pilier de la communication s’il en est, l’écoute embrasse un large corpus qui ne demande qu’à être reçu : de ce qui est dit au non-dit, en passant par le langage verbal au sens strict (le choix des mots dit beaucoup) et le langage corporel. La posture importe également pour celui qui écoute : se montrer sous un jour sympathique ne suffit pas. C’est à l’empathie qu’il faut se résoudre afin de se mettre « à la place de l’interlocuteur ». Pourquoi pense-t-il ceci ? Quelle en sont ses propres raisons ? Qu’est-ce qui le motive réellement ? En définitive, être à l’écoute, c’est être en posture suffisamment active pour que votre interlocuteur (ou cible) se sente suffisamment libre pour dire. Ecouter, c’est donc d’abord se taire, mettre en veille nos réflexes de pensées et nos idées reçues. C’est accepter de se taire, de ne pas commenter, répondre et contredire.
Dis-moi quelle est ton écoute, je te dirais qui tu es !
Jacques Salomé, psychosociologue, définit trois niveaux d’écoute :
– L’écoute active permet à celui qui parle de se sentir écouté, entendu : il peut lui-même entendre ce qu’il dit ;
– L’écoute miroir est celle qui permet à celui qui parle de vider son sac : ses propos illustrent ce qu’il est au plus profond de lui-même ;
– L’écoute résonance est celle qui donnera tout son écho à ce qui est dit, ce qui est important et qui mérite d’être entendu et porté.
Il suffit de regarder les campagnes de communication pour connaître le niveau d’écoute de leur annonceur. Se décentrer de son message et de ce que l’on est pour partir des attentes du grand public nécessite un travail. La filière élevage et viande française y est parvenue. Engagée dans la norme internationale de la RSE – ISO 26 000, elle s’est emparé des attentes sociétales. Ses campagnes publicitaires auxquelles j’ai pu apporter ma modeste contribution, s’en ressentent : elles ne mettent plus en scène un éleveur avec sa vache et ne sont plus « mono espèces » (ex. : Bravo le Veau). Ainsi, elles mettent dorénavant en lumière Thomas, une sorte de quelqu’un comme vous et moi. Dans lequel chacun peut se voir ou s’identifier. Les Amis de Thomas, second volet de la campagne, illustre toute l’implication que la filière dans l’écoute de ses parties prenantes (Camille, Victor, Noémie, Maël, Sanah). Le 3ème volet décline la/votre famille, du champ intergénérationnel à l’inclusivité comprise. Ce reflet de ce qu’est la société dans toute sa diversité se retrouve également bien dans une autre campagne : celle de la filière fruits et légumes frais qui montre que les communicants ont fait passer l’utilité de l’étude des personae, ces « cibles », ou parties prenantes, à qui « passer un message » ne suffit plus à l’époque du « vivre avec » et de la co-construction : manger des fruits et légumes ne se décrète plus, cela se construit d’abord avec et par (v/s pour) les consommateurs.
Les communicants ont fort à faire pour sensibiliser les professionnels de l’agriculture à la notion d’écoute. C’est tout un travail de pédagogie et d’acculturation portant sur la communication, sur ses techniques et ses métiers. Un travail éducatif à systématiser sur le long terme, car les velléités de se remettre à parler de soi tiennent du réflexe d’autodestruction : s’il peut être perçu (à tort) comme rassurant « pour l’interne », « pour l’externe », l’effet est catastrophique. Est-ce que vous comprenez ? … dites-moi, pour voir !
Par François Cassignol, Vice-Président du Syrpa