Home 5 Vibrations communicantes 5 En résonance avec : Magali Sartre, consultante en transition écologique

Transition écologique : « Les entreprises doivent encore démontrer leur sincérité », selon la consultante Magali Sartre

Christian Clot, explorateur

Au début de la carrière de Magali Sartre, la question de l’environnement était alors un sujet d’« écolo », autant dire un sujet « pas sérieux ». Les choses ont bien changé depuis. La lutte contre le changement climatique n’est plus une question d’idéologie, mais il reste du chemin à parcourir avant que les entreprises intègrent pleinement cet enjeu dans leur stratégie.

© Freepik

Durant 25 ans, Magali Sartre a occupé des postes de dirigeante dans la RSE, les affaires publiques et la communication au sein de grands groupes cotés, comme Suez, Diageo, Danone et Bel. Sensible à la protection de la nature depuis son enfance, Magali a voulu intégrer très tôt cette notion dans ses missions professionnelles. Dans le secteur privé, c’était un combat subtil.

C’est avec la volonté de transformer l’engagement des parties prenantes dans le projet d’entreprise « One Health » qu’elle avait rejoint le Groupe Danone en 2019. Son but : embarquer tout l’écosystème de l’entreprise dans sa mission, en reprenant les codes des mouvements sociétaux : des approvisionnements jusqu’aux consommateurs. Mais, la crise COVID et le départ d’Emmanuel Faber ont sonné le glas de cette approche novatrice qu’elle avait appelée « Marque Mouvement ». Déterminée à accompagner les dirigeants et les entreprises qui veulent se transformer, Magali a ensuite créé Positive Practice, une activité de conseil engagée et indépendante. Aujourd’hui, elle nous livre son regard.

 

Pourquoi est-il si difficile de bousculer le modèle des entreprises sur les questions de transitions environnementales ?

Aujourd’hui, on sait mais on n’agit pas, ou clairement pas assez vite. Je me suis souvent demandé d’où vient cette inertie. Au-delà des sujets de leadership, d’organisation, de modèles économiques qui, bien sûr, sont des sujets clés, j’aime beaucoup l’explication du neuroscientifique Sébastien Bohler qui indique avec précision qu’une partie archaïque de notre cerveau, appelée le striatum, fonctionne avec le logiciel suivant : « Il faut consommer tout ce que nous pouvons pour survivre ». Adapté il y a quelques millions d’années dans la savane, ce logiciel l’est désormais moins : de nos jours, les conditions de (sur)vie sont beaucoup moins rudes.

Avoir plus gros, plus grand, plus vite : c’est rassurant ! Il faut envisager un vrai travail sur soi pour inverser ce schéma de pensée où le bonheur repose sur la possession ou l’image sociale. Autrefois c’était la taille de la voiture ! Pour apaiser le fonctionnement ancestral du striatum, une solution existe : une reconnexion neurosensorielle à la nature. Nous avons un devoir de mettre en priorité cet « être au monde » différent dans l’éducation de nos enfants, leur apprendre que nous sommes « avec » le vivant, pas au-dessus, que celui-ci n’est pas un objet d’accaparement à notre service. Yuval Noah Harari explique d’ailleurs aussi que l’humanité a la capacité de se transformer par l’histoire qu’elle se raconte.

Racontons-nous une histoire nouvelle sur notre lien avec la Nature . Selon le philosophe Roman Krznaric : « L’humanité a toujours eu la capacité innée de planifier pour la postérité et de prendre des mesures qui résonnent pendant des décennies, des siècles, voire des millénaires. Si nous voulons devenir de bons ancêtres, il est maintenant temps de retrouver et d’enrichir cette compétence imaginative ».

 

Selon vous, la RSE permet-elle d’amorcer une transition ?

Oui bien sûr ! Mais, la plupart des entreprises ont une approche quantitative de la RSE, du type : « nous avons réduit de X % nos émissions de carbone, notre consommation d’eau », en oubliant complètement la biodiversité oula qualité de l’eau. Il manque encore un objectif partagé concernant la biodiversité, alors que c’est le cas pour le réchauffement climatique où nous avons défini collectivement le seuil de +1,5°C. Un exemple : l’agriculture consomme 70 % des ressources en eau douce de la planète. Si les entreprises de l’agroalimentaires concentrent tous leurs efforts sur la compensation carbone, elles passent à côté du problème de la ressource en eau.

 

Et « One Health » dans tout ça ?

Je suis devenue prudente avec le terme « One Health » car il a été trop souvent utilisé en marketing. Pourtant « One Health » incarne bien que le règne végétal, le règne animal et les humains sont interdépendants. Préserver notre environnement, à la fin c’est protéger l’humanité. La vie et la nature continueront sans nous, différemment, quoi qu’il arrive. C’est notre espèce qui risque de disparaître.

J’ai la conviction que la santé de notre planète est liée à la santé psychique des humains. Nous devons recréer les conditions de contacts sensoriels avec la nature, créer un monde moins bétonné, moins violent, offrir plus d’espace aux enfants, leur donner les conditions de l’expérimentation à l’air libre. C’est urgent ! En 2025 on estime que 68 % des humains vivront dans des grandes villes. Imaginez-vous le stress et la déconnexion du vivant que cela peut représenter !

 

Comment les communicants peuvent s’emparer du sujet de la transition ?

La transition est devenue un sujet de marketing personnel pour de nombreux dirigeants et consultants. J’ai vu cela évoluer au fil des années. Désormais sur LinkedIn tout le monde se targue d’être un « expert de la RSE ». Je me questionne parfois sur la sincérité de certains profils. Le « Green Ego Washing », ça passe partout avec des bonnes capacités oratoires. On parle d’écologie mais on essaie surtout de se mettre en avant. Et les journalistes ont besoin de figures, tout comme les tables rondes ont besoin de speakers… Quand on creuse, il y a un souvent un décalage entre les paroles et les actes.

Les communicants ont de fantastiques opportunités de réinventer leurs métiers : devenir des poils à gratter auprès de leurs dirigeants (et ne plus se limiter à être des tacticiens de la communication). Requestionner, oser et bousculer avec de nouveaux arguments qui viennent du cœur ! Ils peuvent aussi réinventer le dialogue de l’entreprise avec ses parties prenantes pour aller au-delà du transactionnel et créer un engagement collectif autour de projets de transitions écologiques et humains. Aujourd’hui, les entreprises ont encore la possibilité d’agir proactivement, de démontrer leur sincérité ! Demain, des contraintes juridiques ou réglementaires seront certainement imposées qui rendront plus difficile de se différencier.

Propos recueillis par Charlotte Julien et Victor Guilbert, agence Communicante

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